Grand entretien avec Élise Noiraud autour de sa décapante trilogie

L’auteure, comédienne et metteuse en scène originaire des Deux-Sèvres dans une autofiction rurale et familiale

Spectacles, musiques & festivals
Grand Entretien
Par Champs Libres Média – La rédaction
20 minutes de découverte
26 • 02 • 2024

À 40 ANS, L’AUTEURE, COMÉDIENNE ET METTEUSE EN SCÈNE ORIGINAIRE DE LA MOTHE SAINT-HÉRAY, UN PETIT VILLAGE DES DEUX-SÈVRES, DIRIGE LA COMPAGNIE 28 BASÉE À AUBERVILLIERS EN RÉGION PARISIENNE. NOUS AVONS RENCONTRÉ CETTE ADEPTE DES GRANDES FORMES COMME DES SPECTACLES PLUS MINIMALISTES AU TAP DE POITIERS EN JANVIER DERNIER. ELLE Y JOUAIT ELISE, SA PERCUTANTE TRILOGIE AUTOFICTIONNELLE. UN « SEUL EN SCÈNE » DE PLUS DE 4 HEURES DANS LAQUELLE ELLE ÉVOQUE SON ENFANCE, SON ADOLESCENCE ET SON ENTRÉE DANS L’ÂGE ADULTE, ELLE, LA PETITE FILLE GRANDIE À LA CAMPAGNE ET MONTÉE À LA « CAPITALE » POUR SE RÊVER UN AVENIR. RENCONTRE.

Votre premier souvenir de théâtre ?

Je pense que mes premiers souvenirs de théâtre, en tout cas au pluriel, remontent à l’enfance. C’était les fêtes des écoles, en fait. C’est-à-dire, ces moments dans l’année, quand j’étais enfant, où il y avait un temps en dehors du quotidien où l’on pouvait faire du spectacle, de la danse, du chant, du théâtre.

Elise Noiraud

Pouvez-vous nous présenter votre trilogie et sa genèse trilogie ?

Elise, qui est le nom de ma trilogie, est mon prénom et aussi le nom de mon personnage, mon double pas d’autofiction. C’est un travail qui est inspiré de ma vie et dans lequel on suit les aventures d’un personnage de ses neuf ans à ses 19 ans, de l’enfance à l’adolescence jusqu’à l’entrée dans l’âge adulte. Dans ces trois spectacles qui constituent cette trilogie, j’interroge cette question très universelle : Qu’est-ce que grandir et comment on devient un individu ?

 

Au départ, je n’avais pas le projet de faire une trilogie. Je voulais faire un spectacle sur l’enfance, de ce moment de notre vie qui est la source de tous nos élans. C’est là où on a vraiment les premières expériences de joie, de bonheur, d’enthousiasme, de désir, d’amour. Et c’est évidemment des moments fondamentaux. J’avais envie de parler de ça, de cette énergie très propre à l’enfance, de la beauté de l’enfance, de son dynamisme, mais aussi de sa fragilité, de sa vulnérabilité. Autour de ça, j’avais envie de parler notamment des rapports familiaux et de comment l’environnement des enfants est essentiel dans leur vie, comment il les impacte énormément, qu’il soit positif ou très difficile. C’était le projet. Et puis finalement, ce spectacle que j’ai beaucoup aimé faire a touché les gens dans leur propre enfance. Pour moi, c’était toute la question : quand on parle de soi, on peut parler des autres. Parler de soi n’est pas intéressant, ce qui est intéressant, c’est quand l’intime peut rejoindre l’universel et quand notre intime à nous rejoint.

Finalement, j’ai fait ce premier spectacle (La banane américaine) et je me suis rendu compte que je n’avais pas fini de traiter ces questions-là. J’avais encore des choses que j’avais envie et besoin de raconter. J’en ai fait un deuxième sur l’adolescence (Pour que tu m’aimes encore), puis un troisième sur l’entrée dans l’âge adulte (Le champ des possibles). Je joue à la fois chacun de ces spectacles indépendamment et les joue aussi en intégrale.

Quels sont les thèmes abordés dans chacun de vos trois spectacles ?

Dans le premier chapitre (La banane américaine), Elise, le personnage principal, a neuf ans et raconte son enfance dans un petit village des Deux-Sèvres : sa vie quotidienne à hauteur d’enfant, les copains d’école, les premières joies, les fêtes locales de son village, l’école de musique et puis le rapport avec sa mère. Ça parle beaucoup de ça, de sa mère.
Le deuxième chapitre (Pour que tu m’aimes encore) est sur l’adolescence. Elise a treize ans et demi. C’est évidemment en référence à la chanson de Céline Dion, qui est l’une des grandes chansons de mon adolescence. Ça parle des années collège, l’âge des premières fois : des premiers albums, des premiers voyages scolaires, des premiers sentiments amoureux. Ces moments où l’on commence à s’ouvrir au monde extérieur et où les expériences sont extrêmement puissantes parce qu’elles ont le goût des premières fois. Et ça continue aussi à tisser ce fil des rapports familiaux.
Dans le troisième chapitre (Le champ des possibles), le personnage d’Elise a 19 ans, le bac en poche, obtenu au lycée Joseph des Fontaines dans les Deux-Sèvres, va partir à Paris pour faire des études en lettres modernes à l’université. Ça pose la question de ces moments de bascule de l’existence, entre 18 et 20 ans, où on va dire aux jeunes qui étaient jusqu’ici dans le cocon de l’environnement scolaire jusque-là : « Tu veux devenir qui dans le monde des adultes ? Tu veux faire quoi plus tard ? Comment tu te projettes ? ».
Ce moment à la fois enthousiasmant et aussi assez vertigineux, il peut être aussi très violent et un peu égarant. Elle part à Paris et c’est tout le changement géographique, et sociologique, et toujours cette question familiale : comment quitter ce qu’on connaît pour s’ouvrir à une vie qu’on va construire et qui va être la sienne ? Comment il faut lâcher sa famille aussi ?

Votre personnage s’appelle Élise, comme vous…

Je dis que c’est mon double fictionnel. Mon travail, c’est de l’autofiction, donc ce n’est pas de l’autobiographie. L’autobiographie, c’est plutôt un terme de littérature, un type d’écriture qui implique un pacte de vérité avec le lecteur ou avec le spectateur. Je n’ai pas ce pacte de vérité avec les spectateurs. Je pars de mon vécu, mais je m’autorise complètement le recours à la fiction. Il y a par exemple le personnage de la mère dans le spectacle. Les gens me disent souvent « Alors c’est votre mère ? ». Je dis « Non, ce n’est pas ma mère ». C’est un personnage qui est inspiré notamment de ma mère, mais aussi d’autres mères. C’est un personnage de théâtre. Chaque situation que je raconte ou chaque personnage que je joue fait écho à des choses que j’ai vécues ou à des gens que j’ai rencontrés. Mais des fois, il reste 2 % de la personne de départ dans le personnage final. En fait, tout est vrai et tout est faux. C’est moi et ce n’est pas moi.

Elise Noiraud

Vous êtes seule en scène, dans un décors plus que minimaliste…

J’ai fait le choix effectivement d’être dans un format très léger et très sobre. Je suis seule en scène, habillée en noir avec une chaise, une malle en bois et quelques rares accessoires. Le spectacle repose beaucoup sur le jeu, sur les lumières et sur le son. J’utilise beaucoup la musique. En tant que comédienne, ça m’amuse énormément d’être dans cette simplicité-là, d’avoir un spectacle reposant sur le jeu et qui tient beaucoup à mon travail d’interprétation. Il n’y a pas d’artifices. C’est un défi théâtral qui est très jubilatoire à faire. Quand je joue la trilogie complète, ça doit faire entre 40 et 50 personnages à interpréter !

Il y a de la noirceur, mais aussi de l’humour dans cette trilogie…

Je pense que pour moi, le choix du rire était obligatoire, parce que le point de départ, c’est quand même mon histoire et que permettre aux gens de rire, c’est la moindre des politesses !
Il y a des choses très noires dans ce que je raconte, presque tragiques sur les rapports familiaux et sur la difficulté de grandir. De rester à cet endroit-là de la noirceur, je trouvais cela ultra complaisant et un peu « thérapie sur scène”. Et ça, c’est vraiment tout ce que je déteste. La possibilité qu’il y ait du rire, c’est le meilleur moyen de laisser le choix aux spectateurs. Il y a des gens qui prennent le spectacle vraiment à l’endroit de la comédie, ça les fait beaucoup rire. Il y en a pour qui ça vient faire écho à ce qu’ils ont pu vivre dans leurs rapports familiaux. Et là, du coup, il y a le rire mais aussi des endroits beaucoup plus sensibles, où les gens sont très émus. C’est vraiment sur le fil.

Dans la trilogie, vous racontez votre enfance dans les Deux-Sèvres. Quel rapport avez-vous entretenu à la campagne ?

J’ai eu un rapport assez concret, quotidien, à la campagne, à la ruralité. J’ai grandi dans un petit village où on avait très vite accès à la forêt, aux cours d’eau. Ça a été des expériences quotidiennes et sensorielles importantes. Et puis mes grands-parents étaient agriculteurs, j’ai beaucoup été dans des hameaux, dans des anciennes fermes en activité. Ça a été vraiment présent dans ma vie. Quand j’étais enfant, la campagne était synonyme pour moi de grande liberté. La vie en milieu rural pour des enfants, surtout à l’échelle dans laquelle j’étais, dans un petit village où tu peux te déplacer à pied, c’était formidable. J’ai aussi beaucoup de souvenirs d’odeurs de jardins et de nature.

Et maintenant ? 

Je vis maintenant à Paris depuis plus de 20 ans. J’ai une vie quotidienne très urbaine, que j’aime beaucoup aussi. Je reste très attachée à la nature, à la ruralité, aux Deux-Sèvres dont je suis originaire. C’est un territoire qui est important pour moi.

Propos recueillis au TAP de Poitiers en janvier 2024 par Jean-Baptiste Béïs et Sonia Moumen.

Le texte de la trilogie (La banane américainePour que tu m’aimes encoreLe champ des possibles) d’Élise Noiraud est disponible chez Acte Sud dans la collection Au singulier (octobre 2020).

Le Champ des possibles a été nominé aux Molières 2022.

cultureinterviewruralitéscènespectaclethéâtre
Elise Noiraud
Deux-SèvresLa Mothe Saint-HérayNouvelle-Aquitaine

Partagez-moi !

Vous aimerez aussi...

Grand EntretienRencontre
22 • 02 • 2024

Florence Lavaud : metteure en scène pour tous !

Un théâtre visuel et en mouvement qui prend racine en Dordogne

Périgord
Par Champs Libres Média – Florence Bobillon
Spectacles, musiques & festivals
« Journal d’un monstre », " Songe ! » , « Une belle, une bête » , « Un petit chaperon rouge”… Avec plus...
20 minutes de découverte
Rencontre
07 • 12 • 2023

Le théâtre ouvert sur le monde d’Uz et coutumes

Rencontre à Uzeste avec Dalila Boitaud Mazaudier

Gironde (33)
Par Champs Libres – Le magazine TV
Spectacles, musiques & festivals
Installée dans le village d’Uzeste, la compagnie Uz et coutumes propose un théâtre ouvert sur le monde et l’altérité. Littérature du monde, conflits et...
2 minutes de découverte
Sélection
15 • 09 • 2023

Quelques saisons des théâtres loin des (grandes) villes

Quand les théâres loin des villes se font exploratoire de la diversité de la création contemporaine

Nouvelle-Aquiatine
Par Champs Libres Média – La rédaction
Spectacles, musiques & festivals
A l’instar des grandes villes, des théâtres et salles de spectacles de petites villes de moins de 5 000 habitants pensent des programmations sous...
5 minutes de découverte