Le château de Cadillac fait la part belle aux expositions

Quand un monument historique rencontre la création contemporaine

Arts plastiques & arts visuels
Sélection
Par Champs Libres Média – Florence Bobillon
5 minutes de découverte
11 • 05 • 2022
Classé au titre de monuments historiques depuis plus de 150 ans, le château de la petite ville de Cadillac, située dans les collines de l’Entre-deux-Mers, est un palais digne des roi. Il accueillit aussi en son temps la première prison pour femmes de France. Un bâti d’intérêt et une histoire double, entre faste et douleur, que la politique d’exposition s’attache à mettre en valeur avec des expressions artistiques contemporaines. Décryptage.

Tout a commencé avec les photographies de la série “Détenues” de Bettina Rheims, en 2018. Ce projet, qui interrogeait la construction et la représentation de la féminité dans les espaces de privation de liberté et d’enfermement au travers d’une cinquantaine de photographies, a d’abord été présenté dans la chapelle du château de Vincennes. Mais c’est dans les deux grandes salles du sous-sol du château ducal de Cadillac qu’il a trouvé son souffle le plus profond. 

Dans une mise en scène qui rejouait les cellules, les photographies entraient en résonance avec le passé carcéral du lieu. L’ensemble fonctionnait remarquablement. “On porte des lieux qu’il faut raconter et faire vivre”, explique Olivier Du Payrat, l’administrateur du château ducal de Cadillac. Avec “Détenues”, la thématique avait trouvé son lieu – et inversement – marquant par là même le début d’un travail de confrontation entre l’univers carcéral et la création artistique.

Trouver l’équilibre entre conservation et valorisation du patrimoine

Ce n’était pas une évidence. Pour le Centre des monuments nationaux, en charge de l’administration des monuments classés, la mission première est de conserver, restaurer et entretenir les monuments. “On n’est pas un musée, mais un monument. On a du bâti”, rappelle Olivier Du Payrat. Et à Cadillac, le château s’impose, grandiose. 

Quant à son histoire, elle s’étend de la Renaissance au XXè siècle, en passant par le Grand Siècle et la période moderne. D’abord château d’apparat du duc d’Epernon, dont le désir de puissance fit qu’il réussit à se maintenir au plus près du pouvoir pendant près d’un demi-siècle, traversant règnes et assassinats, il fut démantelé progressivement après la mort de son fils, sans héritier. Saisi et pillé à la Révolution, il trouve une nouvelle destinée en 1818 quand il accueille la première prison pour femmes de France. Si la mouvementée histoire du lieu en accroît l’intérêt, elle en complexifie aussi la valorisation.

Ma mission est de transmettre le patrimoine pour ce qu'il est.

Olivier Du Payrat

La programmation artistique et culturelle du château de Cadillac s’inscrit dans le partage cette histoire riche de six siècles. L’enjeu est “de trouver un équilibre entre nos missions de conservation et de valorisation. Et l’équilibre est instable”, souligne l’administrateur. Une oscillation se fait sentir entre l’accueil d’expositions au ton plus convenu mettant l’accent sur le registre patrimonial, à l’image de “Fantaisies pour un palais” (automne 2022) et qui vise “à réenchanter le monument” à partir de l’imaginaire des contes de fées, et des expositions visant à faire se rencontrer le lieu avec la création artistique contemporaine, comme avec la superbe exposition “Voix éteintes, âmes agissantes” d’Agnès Geoffray.

Faire vivre le château entre événementiel et collection permanente

Exposition Voix éteintes, âmes agissantes d'Agnès Geoffray, affiche, Château ducal de Cadillac, 2022

Après la photographe Bettina Rheims, c’est Agnès Geoffray qui investit le château. Et pas de la manière la plus légère : en se plongeant dans les archives pour un travail fastidieux d’étude des dossiers administratifs retraçant le passé pénitentiaire du lieu. Elle pose aussi son regard d’artiste sur le fonds photographique de l’école de “préservation” de jeunes filles – comme on l’appelle alors. A partir de ces matériaux et avec un travail de photographie qui ne laisse pas indifférent, elle fait rejouer des scènes à des jeunes étudiantes de l’école supérieure des Beaux-Arts de Bordeaux. 

“La question de la valorisation des archives est complexe et le regard d’un artiste est fort. Agnès Geoffray n’a pas un regard d’historienne ou d’archiviste mais elle a un regard contemporain.”

Cette exposition remarquable possède son écrin : les combles du château qui constituent un saisissant envers du décor et contribuent à la révélation des “voix éteintes d’un passé enfoui” tout en questionnant “le pouvoir de résistance d’âmes agissantes.” 

La valorisation du fonds archivistique et du lieu, s’ils sont des moments forts, trouvent une résonance dans l’enrichissement de la collection permanente. “Notre mission première n’est pas de faire de l’art contemporain”, rappelle Olivier Du Payrat qui s’est associé avec le Fonds régional d’art contemporain pour concevoir “Voix éteintes, âmes agissantes.” Si Bettina Rheims a offert un tirage de la série “Détenues” au château ducal et si l’acquisition d’une œuvre d’Agnès Geoffray est envisagée, l’objet n’est pas, pour autant, de constituer une collection.

Faire revenir le public

L’organisation d’expositions temporaires couplée à l’évolution des collections et du parcours permanent permettent d’attirer ou de faire revenir un public pas toujours acquis à la cause patrimoniale. Les amateurs d’art contemporain ne viennent pas naturellement dans un monument historique et les ferrus de monuments historiques boudent l’art contemporain.

“Le patrimoine est vivant. L’art est vivant. Un dialogue est possible”, assure Olivier Du Payrat pour qui décloisonner est essentiel. C’est ce qu’il fait dans un autre monument historique girondin, l’abbaye de La Sauve-Majeure. Là, au milieu d’un bâti clairsemé multiséculaire, des photographies en noir et blanc posées sur des chevalets ont contribué à établir un lien entre le patrimoine et la photographie contemporaine.

Loin des grands pôles urbains, entre Cadillac et la Sauve-Majeure, les expressions contemporaines investissent avec intelligence le patrimoine. Pour une meilleure compréhension de l’un et de l’autre.

Photographie
Agnès GeoffrayChâteau ducal de Cadillac
CadillacGironde (33)Nouvelle-Aquitaine

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