Le festival d’été de la Maison Maria Casarès

Quand le théâtre est une fête

Spectacles, musiques & festivals
Reportage
Par Champs Libres Multimédia – Sonia Moumen
4 minutes de découverte
16 • 08 • 2022
Le festival de théâtre de la Maison Maria Casarès à Alloue en Charente est assurément notre coup de coeur de l’été. Il reste encore quelques jours pour voir son excellente programmation et profiter d’un goûter, apéritif ou dîner – au choix – sous le grand tilleul de la cour. Reportage.

Au bout du chemin, juste après l’allée ombragée, passez la porte cochère. Vous y êtes. La cour, la prairie, la forêt, la rivière. Le bleu du ciel et le murmure de l’eau. A droite la maison de maître. En face le pigeonnier. A gauche les anciennes écuries. Et puis encore la grange. On est au Domaine de la Vergne à Alloue. Là où la grande comédienne Maria Casarès est venue se mettre au vert, pendant plus de 30 ans. Un panneau signale que c’est chez elle, et que par la magie d’un label ministériel, le lieu est devenu « Maison des illustres ».

Que faire d’un tel héritage ?

Cette maison, Maria Casarès l’a achetée, l’a aimée, puis l’a léguée en 1996 à la petite commune d’Alloue, en témoignage de sa reconnaissance à la France, qui fut sa « terre d’asile » alors que le franquisme faisait rage en Espagne. 

Ici, au temps de la grande tragédienne, il y eut des quelques amis et des moments de silence. Et puis, l’envie, le devoir, au décès de Maria Casarès, d’entretenir sa mémoire. 

Mais que faire d’un tel héritage ? Comment préserver l’esprit des lieux sans sombrer dans la servilité patrimoniale ? Il fallait être inventif, un peu équilibriste, peut-être inconscient, pour relever un tel pari. La première à s’y être attelée s’appelle Véronique Charrier. Elle crée la Maison du comédien et des rencontres théâtrales avec l’idée de perpétuer l’héritage de « la plus grande comédienne du XXe siècle ». « Cette maison doit rester un lieu de vie et de travail, ouvert toute l’année, où l’art du comédien prend le temps de s’expérimenter, de se renouveler, de se partager, de se transmettre », précisait-elle alors. La grange est transformée en théâtre, les communs en chambres pour les artistes appelés à venir travailler sur place. Le comédien François Marthouret en est alors le président et vient y dire des textes. Faire vivre ces lieux, les incarner, respecter le passé tout en étant résolument ancré dans le présent, n’est pas chose aisée. Deux directions se succèdent avant l’arrivée de Mathieu Roy et Johanna Silberstein.

Une maison des Illustres

Des Maisons des illustres, il en existe un peu plus de 250 en France. Un label qui signale des lieux dans lesquels ont vécu des femmes et des hommes qui ont marqué l’histoire politique, sociale ou culturelle de la nation. La Maison Maria Casarès dans le petit village d’Alloue en Charente est de ceux-là. En 2018, la Maison a aussi été labellisée Centre culturel de rencontre qui reconnaît la double valorisation d’un site patrimonial et d’un projet artistique et culturel. En savoir plus : http://mmcasares.fr/

Un festival d’été pas tout à fait comme les autres

Voyez ce jeune homme à la silhouette filiforme qui accueille les visiteurs ; et cette jeune femme à la robe bigarrée qui répond au téléphone. Ceux sont eux. Ils sont l’âme de la Maison Maria Casarès, ils en sont aussi les chevilles ouvrières. Ils ne sont ni conservateurs de musée, ni archivistes du passé mais respectivement metteur en scène et comédienne. Ils dirigent la Maison depuis 2017. Ils ont su en faire un lieu d’accompagnement pour les artistes et de convivialité pour le public. 

A chaque saison, sa couleur et son projet. L’été, les deux artistes organisent un festival de théâtre. Unité de lieu, de temps et d’action. Trois spectacles, les mêmes, tous les soirs pendant 4 semaines. Si les théâtres des grandes villes sont rompus à cet art de la série longue et du répertoire unique, la chose est plus rare, voire exceptionnelle à la campagne. C’est pourtant une réussite et le bouche-à-oreille fait son œuvre : tous les jours, une centaine d’amateurs, voisins proches ou plus lointain, se pressent au domaine. 

Anthony Jeanne, Yannick Jaulin et Johanna Silberstein dans Le Tartuffe - 2022 (c) Christophe Raynaud de Lage

Marathon unique pour tout le monde

Parce que vous êtes chez Maria Casarès, vous êtes d’abord invité à une plongée dans son univers. Casque sur les oreilles, vous débuterez par la correspondance amoureuse entre la comédienne et Albert Camus, puis poursuivrez par une courte exposition, au rez-de-chaussée de sa maison, sur ses années au Théâtre National Populaire de Jean Vilar. Se souvenir qu’elle était une grande dame qui fréquenta les plus grands.

Place ensuite au marathon théâtral et au plaisir gourmand : spectacle « Jeunes Rivières » écrit et mis en scène in situ par Paul Francesconi « Un texte onirique aux accents vaguement tchékhoviens » (Le Point), goûter sous les pommiers, représentation de « Comment vider la mer avec une cuiller » de l’irrévérencieux Yannick Jaulin, poétiquement accompagné de la violoniste Morgane Houdemont, apéritif au coucher du soleil, création du « Tartuffe ou l’hypocrite» de Molière, et enfin dîner champêtre sous les étoiles.

On n’est pas obligé de déguster toute l’offre, mais pourquoi faire régime lorsqu’on peut faire bombance ?

Dîner spectacle Maison Maria Casarès 2022 (c) Christophe Raynaud de Lage

Un esprit de troupe

D’autant plus que souffle ici un esprit de troupe que Maria Casarès n’aurait pas désavoué. Ne soyez pas surpris de reconnaître les comédiens de « Jeunes rivières » ou de « Comment vider la mer avec une cuiller » dans le « Tartuffe » de clôture. Voyez la capacité d’adaptation du vibrionnant Anthony Jeanne, tantôt garçonnet maladif, tantôt jeune homme impétueux. Admirez la palette de jeu de Nadine Béchade, d’abord mère possessive et alcoolique puis fervente catholique. Sans oublier Yannick Jaulin, conteur insolent à l’heure de l’apéritif avant de revêtir la soutane de l’imposture au coucher du soleil pour incarner Tartuffe.  

Un Tartuffe immoral et tragique

« Le Tartuffe ou l’hypocrite » justement, une mise en scène de Mathieu Roy, le même qui accueille les spectateurs, déchire les billets, présente, remercie, échange, toujours accorte et disponible.

Johanna Silberstein, Aurore Déon, Anthony Jeanne et Sylvain Levey dans Le Tartuffe - 2022 (c) Sonia Moumen

La pièce a beaucoup été jouée en cette année 2022 qui célèbre le 400e anniversaire de la naissance de Molière. Elle est donnée ici dans la version restituée par Georges Forestier, avant que le texte ne soit censuré par l’Église. Une version plus resserrée, plus immorale, plus tragique, créée spécifiquement par Matthieu Roy pour le festival d’été de la Maison Maria Casarès. 

En clin d’œil à la l’illustre comédienne, il a confié le rôle d’Orgon à un autre grand comédien, ancien président de la Maison : François Marthouret qui donne ici une sacrée leçon de théâtre. Tout comme Aurore Déon, drolatique et insolente Dorine. Quant à Johanna Silberstein, la jeune femme qui répondait au téléphone quelques heures plus tôt et co-directrice du lieu, la voilà métamorphosée en épouse d’Orgon : une Elmire racée aussi lascive que perverse. Magnifique comédienne. 

Un texte. Des comédiens. Une mise en scène. La recette est simple. Tout est dans le tour de main, dans le talent et dans cette capacité rare de faire du théâtre une fête. 

Maria Casarès : bio expresse

Maria Casarès (1922-1996), exilée espagnole, arrivée en France à l’adolescence, se passionne vite pour le théâtre qui pourtant rechigne à l’intégrer dans son rang en raison de son accent. Elle travaillera dure pour le gommer et devient l’une des plus grandes tragédiennes françaises et l’une des figures les plus en vue du Théâtre national populaire de Jean Vilar. Les prestations de la comédienne au Festival d’Avignon, aux côtés de Gérard Philipe, Georges Wilson ou encore Philippe Noiret dans la cour d’honneur du Palais des papes sont entrées dans la légende. Comme ses tournées internationales. Elle flirte aussi avec le cinéma mais lui préfèrera toujours le théâtre. Elle vécu une immense histoire d’amour avec l’écrivain Albert Camus, puis avec le chanteur André Schlesser avec lequel elle achète le domaine de la Vergne à Alloue. C’est à Alloue qu’elle poussera son dernier soupir. On peut se recueillir sur sa tombe dans le petit cimetière d’Alloue. De là, on perçoit le domaine au loin. 

Pour découvrir le projet à l’année de la Maison Maria Casarès, découvrez le reportage réalisé par l’équipe de Champs Libres. 

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AlloueCharente (16)Nouvelle-Aquitaine

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