Pollen, le territoire et ses habitants : terreaux de création

Polleniser l’art / Épisode 4

Arts plastiques & arts visuelsTiers-lieux, résidences & cafés culturels
Reportage
Par Champs Libres Média – La rédaction
07 • 11 • 2022
« Quand il nous a fait cette proposition, je me suis dit : il n’a pas compris », raconte Nadine Lafon, maire de Lacapelle-Biron. Celui dont elle parle, c’est l’artiste plasticien Nicolas Daubanes, qui découvre ce village de quatre cents âmes un jour de novembre alors que se tient le dernier marché de la saison. Il vient d’arriver pour trois mois de résidence artistique à Monflanquin et s’intéresse aux faits historiques.

Fort de ses précédents travaux, notamment sur la Résistance dans le Vercors, Nicolas Daubanes propose à la maire et aux habitants une création autour du monument départemental aux déportés.

« Quand Nicolas Daubanes m’a expliqué qu’il avait travaillé sur des hauts lieux de mémoire, sur Vassieux-en-Vercors, sur la prison Montluc à Lyon, c’est vrai que je me suis dit : «Oui, peut-être qu’il y a quelque chose à faire. Il était très, très documenté, il savait très bien de quoi il parlait, il savait aussi combien ça allait être certainement difficile pour la population, les élus, les associations mémorielles. Et puis, tout s’est enclenché. Le conseil municipal a finalement adhéré très vite. Et on est super contents de ce qui s’est passé, vraiment. » explique l’édile, finalement conquise.

Aujourd'hui de Nicolas Daubanes

Nicolas Daubanes : changer le regard sur le passé

Fruit de nombreuses concertations, l’œuvre de Nicolas Daubanes sobrement intitulée Aujourd’hui a cherché à redéfinir le rôle de la place du village, autrefois cœur de la vie quotidienne et occupée depuis l’après-guerre par un monument aux déportés. Emblématique de l’histoire de Lacapelle-Biron, ce monument rappelle que 49 habitants de ce petit village ont connu les camps d’extermination nazis. Un devoir mémoriel auquel les habitants sont très attachés et qui semble avoir figé la place centrale dans son passé tragique. L’artiste propose de masquer le monument derrière une palissade puis de réinstaller le marché hebdomadaire qui se tient dans une rue adjacente. Le retour de la vie quotidienne au cœur du village, tout simplement ! 

Entre devoir mémoriel et nouvel horizon

Le 21 mai 1944, quelques semaines avant le massacre de 643 otages à Oradour-sur-Glane en Haute-Vienne, la division SS Das Reich encerclait le village de Lacapelle-Biron dans le Lot-et-Garonne, rassemblait 49 hommes de 18 à 60 ans et les envoyait dans les camps de concentration de Dachau et Mathausen : 23 n’en reviendront pas.

La place sur laquelle ont été réunis les déportés n’a plus accueilli le traditionnel marché dominical depuis ce jour, et on y a dressé en 1946 un monument aux morts à leur mémoire. En résidence en 2020 à Pollen, l’artiste plasticien Nicolas Daubanes a choisi de faire revivre le marché, 77 ans après son arrêt brutal. Il raconte ici comment le projet Aujourd’hui est né et a permis aux habitants, par l’intervention d’un artiste, de changer leur regard sur le passé.

Découvrez ce que dit l’artiste plasticien Nicolas Daubanes sur son travail et sur Pollen. Il a été en résidence pour Aujourd’hui en 2020.

Réalisée dans le cadre d’une longue démarche d’ouverture et de concertation, la création de Nicolas Daubanes est révélatrice de l’action de Pollen sur le territoire : ne rien imposer, oeuvrer avec les habitants. « Pollen est une structure précieuse qui se nourrit de tout ce qui existe sur le territoire », constate Nadine Lafon, la maire de Lacapelle-Biron.

Découvrez ce que dit Nadine Lafon, maire de Lacapelle-Biron sur le travail de Nicolas Daubanes dont l’œuvre a bouleversé le village de Lacapelle-Biron et ses habitants.

Découvrez ce que dit Sabrina Prez, chargée de médiation à Pollen, sur le travail de Nicolas Daubanes lors de sa résidence en 2021. Elle évoque notamment les contributions de tous les acteurs du territoire qui ont réuni leurs forces pour participer à l’œuvre Aujourd’hui de l’artiste.

La vidéaste Julie Chaffort et les cowboys lot-et-garonnais

La démarche de Nicolas Daubanes n’est pas unique. Tous les artistes en résidence sont encouragés à impliquer les habitants dans leur travail. C’est aussi ce qu’a fait la vidéaste Julie Chaffort. Dans son film Les cowboys, elle fait jouer des adultes handicapés. « Je suis allée rencontrer les habitants pour connaître leurs savoir-faire, leurs passions pour m’en inspirer, pour écrire des scènes » se souvient la jeune femme. Lorsqu’elle rencontre un groupe d’adultes souffrant de handicaps mentaux du Centre d’hébergement et de vie sociale de l’Agenais à Laroque-Timbaut, elle est interpellée par leur appétence pour les… westerns. Ils deviendront les émouvants cowboys de l’un de ses films. « Souvent on montre ce que les adultes handicapés ont en moins. Cette démarche m’a permis de sortir du pathos, de montrer ce qu’ils ont en plus ».

Découvrez ce que dit l’artiste contemporaine Julie Chaffort, invitée en résidence à Pollen en 2016. Elle s’est imprégnée du territoire monflanquinois et de ses habitants pour construire ses deux films, La barque silencieuse et Les Cowboys (Laroque-Timbaut).

Découvrez un extrait du film Les cowboys

En tête-à-tête avec Nénette

La démarche de Louise Collet, en résidence à Monflanquin en 2020 est un peu différente, elle ne fait pas jouer des personnages à des habitants, elle cherche à les rencontrer : « Arrivée sur les lieux avec la volonté de porter attention à ce qui se passait juste là, sous mes yeux, j’ai tenté de faire la connaissance d’un espace, de ses habitants et de sa mémoire. J’ai d’abord parcouru les rues, puis des habitants m’ont ouvert leurs portes…». Au gré des portes qui s’ouvrent, Louise rencontre Nénette. Elle exerce l’étonnant métier de repasseuse de flou.  « C’est à la porte qui se situe face à la mienne que j’ai passé le plus clair de mon temps. Durant ces trois mois, j’ai tissé une relation particulière avec Nénette, repasseuse de flou. J’ai réalisé le portrait de cette femme à travers son métier ». La dessinatrice et peintre réalise autour de Nénette 26 superbes dessins au pinceau.

Ecoutez Louise Collet raconter Nénette, repasseuse de flou

Louise Collet, Pollen

Des passeurs pour faire le lien

Trois artistes, trois démarches qui témoignent de l’importance pour les artistes de se nourrir et d’interagir avec les habitants. Des habitants qui leur font confiance, ouvrent leurs portes, acceptent de coopérer. Mais pour les accompagner dans leur ouverture et leur compréhension du territoire dans lequel ils débarquent, les artistes ne sont pas seuls. Ils ont des passeurs. C’est Denis Driffort et Sabrina Prez de Pollen qui jouent ce rôle avec conviction. Ils écoutent, orientent, encouragent les artistes, les mettent en lien avec la population. Car si les habitants connaissent Pollen, c’est bien parce que Pollen les connaît et connaît ses artistes… Le tout en toute délicatesse, car comme le dit Denis Driffort « On est là pour être des interfaces. Si on fait bien notre travail, on ne doit pas nous voir ».

 Le pouvoir d’agir

Cette complicité entre artistes et habitants est aussi le fruit de l’intégration de la structure dans la vie de la bastide. Par son emplacement d’abord. Le lieu est modeste, en bas d’une rue pentue du village, il pourrait se confondre avec n’importe quel commerce. C’est ici aussi que vivent et travaillent les artistes le temps de leurs résidences.

Pour Pierre Ouzeau, vice-président du Réseau Astre, cet ancrage local est capital : « Les artistes qui travaillent à Pollen y habitent et y résident à l’année, ils sont des habitants comme les autres. Ils croisent la population, vont chez le boucher, chez le boulanger, prennent de l’essence… À travers leur vie personnelle, ils tissent des liens naturels et de voisinage avec des populations multiples ». Ici, les artistes ne vivent pas hors sol comme en témoigne Nathalie Founaud-Veysset, maire de Monflanquin : « Je pense qu’ici, on ne se pose absolument pas la question d’art contemporain ou pas. On vit avec les artistes depuis 30 ans. Tout d’un coup, il y a une installation dans la rue, il y a un vernissage, les artistes ont rencontré les Monflanquinois, les Monflanquinois ou des gens de l’extérieur viennent au vernissage, ça fait partie de la vie de tout le monde. On peut dire « c’est à côté de Pollen ». C’est rentré dans le vocabulaire courant ».

Découvrez ce que dit Christine Gonzato-Roques, Vice-présidente du Conseil départemental du Lot-et-Garonne et adjointe à la culture de Monflanquin qui nous fait notamment part de l’importance de Pollen dans le paysage de l’art contemporain, ainsi qu’au sein du territoire monflanquinois.

Quant à Christine Gonzato-Roques, vice-présidente du Conseil départemental du Lot-et-Garonne, elle dit « Faire travailler la population, c’est envoyer un message : vous avez des compétences, un potentiel créatif, vous avez un pouvoir d’agir ». Un pouvoir d’agir dont les Monflanquinois ne semblent pas se priver !

art contemporain
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Lacapelle-BironLot-et-GaronneMonflanquinNouvelle-Aquitaine

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